Chapitre 2
Quelle idiote je fais ! Je
me suis endormie !
Il était tard, d’accord, et ce
lit est tellement… tellement confortable à comparer du mien ! Mais je
m’étonne de m’être si vite endormie. Moi qui était si époust… déçue de ce que
j’avais découvert dans cette chambre. Epoustouflée ? Déçue ? Je ne
sais pas. Une seule chose est certaine, la tempête s’est levée. De puissantes
bourrasques font trembler les vitres, et si je me laissais aller à mon
imagination, je pourrais croire que le phare tout entier va s’élever dans les
airs d’un instant à l’autre. Emporté par les gigantesques vagues qui giflent sa
grande tour de pierres bleues. Si j’ai peur ? Bien sur que j’ai
peur ! Vous en avez de bonnes, vous ! D’ailleurs, je me suis réfugiée
sous le lit, avec ma bougie. À l’instant où je vous écris, je peux vous assurer
deux choses : la première est que j’ai dormi deux heures, la seconde est
que la bougie sera consumée dans quarante cinq-minutes (madame Lechêne m’a
toujours encouragée à graduer les bougies). Il me reste donc ce laps de temps
pour vous décrire la chambre de ma gouvernante.
La première pensée qui m’a traversé
l’esprit lorsque j’ai poussé cette porte a été empreinte d’une grande
perplexité. Comment pourrais-je vous traduire ce ressentiment en termes compréhensibles
? Disons juste qu’au premier abord, cet endroit est bigrement… prodigieusement…
effroyablement… épouvantablement… furieusement… ennuyeux. Un atmosphère de
temps arrêté flotte dans l’air, semblant émaner du décor lui-même, du grand
lit, de la chaise en paille, et du vieux secrétaire. Les longs rideaux qui
encadrent la fenêtre sont raides, d’un verdâtre bileux, le crépit des murs se
lézarde, s’émiette par endroit. Sous chaque pas, et je puis vous assurer que je
ne suis pas lourde, le plancher émet d’étranges grincements, qui feraient
frissonner le plus valeureux des corsaires. D’ailleurs, je ne vous cache pas
que je me suis vite assise sur le lit (grinçant lui aussi, mais moindrement
terrifiant), pour ne plus avoir à entendre ces ignobles crissements. Certains détails
de ce triste décor ont toutefois retenu mon attention ! Ce que je pris
d’abord pour de vieux dictionnaires amoncelés au pied du secrétaire, par
exemple, s’avérèrent plus tard être d’énigmatiques ouvrages traitants de fables
rocambolesques nées de cultures lointaines, de sciences occultes et même de
sorcellerie. J’examinai les couvertures de chaque livre, n’osant trop les
manipuler de peur que ma gouvernante ne revienne un jour et me gronde
sévèrement pour avoir violé le secret de sa tanière.
A dire vrai, je ne fus pas
étonnée le moins du monde que l’esprit de madame Lechêne s’abreuve de ce genre
de littérature. Le contraire m’aurait d’ailleurs étonnée, tant sa personnalité
me semblait être le fruit d’un mélange subtil de puritanisme et d’excentricité.
Les tableaux que j’aperçus
ensuite, accrochés au mur, à droite de la fenêtre, me glacèrent le sang. Bien
qu’il y en ait quelques autres fixés ça et là dans le plâtre des cloisons, deux
portraits s’avérèrent à mes yeux particulièrement effrayants.
Le premier est celui d’un
monsieur de l’âge que devrait avoir mon père s’il fut encore vivant. Peut-être devrais-je
sortir de ma cachette pour vous décrire ce macabre personnage, mais ne vous
faites pas d’illusion : il est hors-de-question que je quitte cet endroit
avant d’y être contrainte. Inutile d’insister, vous vous contenterez pour l’instant
de cette description : l’homme, un officier de l’armée à en juger par les
décorations épinglées sur sa poitrine porte un haut-de-forme cerclé à sa base
d’une bandelette de soie rouge et blanche. Il est vêtu d’une redingote de
couleur vert olive, et d’une chemise blanche à haut col. Sa barbe fort bien
taillée encadre un visage pâle aux joues creuses qui n’exprime rien, en raison,
probablement, du bandeau blanc qui dissimule son regard. Á son cou… et c’est
sans équivoque ce qui me bouleversa, un œil immense est suspendu en guise de
pendentif. Un œil de vache, de rhinocéros, ou d’éléphant, qui fixe droit devant
comme s’il fut à même de voir au-delà du monde tangible.
L’œil du général
Le second portait est celui d’une
petite fille aux longs cheveux d’un blond presque translucide. Elle ne doit pas
être plus âgée que moi. Elle porte une jolie robe bleu pâle, et je dois avouer
qu’elle est très belle, malgré l’horrible mille-pattes qu’elle porte autour du
coup… J’ai déjà vu cette ignoble insecte dans une des encyclopédies entreposées
sous l’escalier. Il s’agit d’un archispirostreptus gigas… « Gigas »
et… les encyclopédies ne vous mentent pas, il est gigantesque.
Portrait à l'archispirostreptus gigas
Le vent a redoublé, la pluie
dégouline sur la vitre. Pendant que je vous écrivais, j’ai découvert un gros
anneau rouillé enchâssé dans le plancher. Je pense qu’il s’agit d’une trappe.
Pour l’heure, je vais tenter de m’approvisionner en bougies pour aller allumer
la lentille du phare. Je reviendrai demain pour essayer d’ouvrir cette trappe
d’où semble émaner une lancinante musique. De la musique ? Quelle étrange
idée. Sans doute est-ce l’écho des vagues qui exalte mon imagination. Bien, j’y
vais. Je dois gravir le grand escalier. Je n’ai pas peur… Elisabeth n’a pas
peur… Elisabeth n’a pas peur…
Elisabeth n’a pas peur.
Mais c est merveilleux!! l'histoire, les illustrations, j'adore! Et je suis d'autant plus convaincu que vous deux, DEVEZ publier un livre...Ce livre ! Mes félicitations, j ai hâte d en lire plus !
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